Voici un autre de ces livres qu’ont créé ensemble Ruth Krauss et Maurice Sendak. Comme pour Un trou c’est pour creuser, des définitions, préceptes et petits proverbes se suivent de page en page. Entre logique improbable, délicieux nonsense et fine observation, ils mettent en scène les enfants qui en sont les acteurs et les figurants. Tout est fait pour eux, tout se met en ordre et coule de source, puisque les enfants sont au centre du Monde de Ruth Krauss et de Sendak. Ce qui nous enchante dans les mines déterminées et tendres de ces enfants, c’est un puissant sentiment de liberté : aucune mièvrerie, on se tape dessus parfois, on s’embrasse souvent, on vit toujours. Les parents font une épisodique apparition, mais les animaux et les jouets sont bien plus centraux. Ils ont pourtant droit à l’une des plus belles définitions de l’ouvrage : Un bébé fabrique un père et une mère, sinon ce sont juste des gens ordinaires.
Il y a le cocasse : « Il faut faire triste mine quand on croise un crocodile » et la liberté prise avec les mots : « Plusdejus est un bon mot à savoir quand on a un verre de plus de jus ». « Chienchien est un bon mot à savoir quand on croise un chien qui se regarde dans un miroir ». Mais aussi la question toujours présente des rapports de force entre enfants d’âges différents : « Un bébé c’est fait pour être le chef ». « Imaginez que les grands dégrandissent comme les petits grandissent » Des conflits évités « C’est une bonne chose que de savoir faire une tête de s’il te plaît », et parfois pas : « C’est bien de savoir ce que ça fait de recevoir un coup de poing dans le nez, au cas où quelqu’un vous demanderait : Veux-tu recevoir un coup de poing dans le nez ? ». On trouve aussi dans ce livre de courtes maximes pleines de bon sens : « Les œufs de Pâques sont tous différents à l’extérieur, mais tous pareils à l’intérieur » Peut-on y voir une ode à la différence ? Sûrement un peu, car Sendak et Krauss ont toujours mis en scène la liberté et l’émancipation de tous, par le rire, le rêve et l’amour.
Les enfants dessinés par Sendak avaient été jugés très mal coiffés et plutôt mal élevés par les premiers critiques d’Un trou c’est pour creuser, en 1952. Il s’agissait du premier livre illustré pour les enfants par Sendak, et il avait sûrement largement puisé dans ses croquis d’enfants de son quartier, Brooklyn, réalisés pendant toute son enfance. En 1960, huit ans plus tard, ce second livre des comment et pourquoi énoncés par et pour les enfants, va encore plus loin dans l’expressivité des personnages. Les définitions y sont parfois troublantes et émouvantes, comme le « Hier vous dit qu’un autre jour arrive », illustré par une petite troupe d’enfants serrés tendrement les uns contre les autres devant un coucher de soleil, accompagnés du chien de Sendak, qu’il met si souvent en scène dans ses livres. Et ce sont sûrement Ruth Krauss et Sendak, qui pensent, parlent et philosophent dans ce livre, tout simple, très amusant, tout petit et très grand.